Halluciner l’abstraction ? La peinture de Charline von Heyl

Résumé

On peut se demander à quelle stratégie obéit la résurgence des codes de la peinture d’avant-guerre européenne dans certaines formes de l’abstraction américaine aujourd’hui. Si l’on s’en tient aux discours qui accompagnent les peintures de Charline von Heyl, artiste allemande émigrée aux États-Unis dans les années 90, ceux-ci, fondés sur l’idée d’abstraction, dévoilent une forte capacité à théoriser son travail de peintre. Ses interventions croisent depuis une dizaine d’années des références aux « pairs » qui ont marqué sa formation initiale (Martin Kippenberger, Joerg Immendorff, Albert Oehlen, Sigmar Polke …) et des références à ses lectures de peintre (Stéphane Mallarmé, Karl Marx, Sigmund Freud, Walter Benjamin, Salomon Friedländer, Maurice Blanchot…). Ces entrecroisements entre pratique de peinture et lectures d‘artiste donnent à voir une réflexion sur des processus mentaux qui informent un processus pictural.

Plan

Texte intégral

« [Mes tableaux montrent] une agentivité (agency) de la part de celui qui regarde. » [1], déclare Charline von Heyl [2].

Confrontée à un renouvellement sans précédent de la condition spectatorielle au XXIe siècle, l’abstraction trouve ici de nouvelles voies pour se réinventer à partir d’une pensée de l’agentivité de la peinture : la peinture est une action qui a en vue une autre action, celle du spectateur.

Une abstraction allusive

Dans ses toiles [3], cette peintre décline de manière allusive de nombreux éléments du vocabulaire d’un siècle de modernisme, sans que cette pratique ne pastiche ni ne cite aucune œuvre antérieure, ce qui signerait l’évidence d’un parti-pris postmoderniste .

Ces suggestions d’abstraction évoquent parfois le cubisme, mais elles exhibent aussi des coulures qui rappellent l’expressionnisme abstrait, tandis que certains motifs hard edge renvoient plutôt au minimalisme des années 60. Quelques propositions relèvent d’un registre biomorphe (Nuit de Paris, 2008, Phoenix, 2008), d’autres sont géométriques (Time Waiting, 2010). Ici ce sont des éléments de peinture informelle qui refont surface (Poodle Pit, 2006 ; Big Joy, 2004), ailleurs des arabesques découpées à la manière de Matisse (Do You peeve Cato, 2017, Tree, 2013). Certaines déconstructions semblent inspirées de Picasso, usant d’enchâssements de cadres et de motifs dans le motif (Lazybone Shuffle, 2010). Ailleurs un titre fait référence à Lucio Fontana (Concetto Spaziale, 2009). Certains critiques ont même vu dans ces peintures des emprunts au travail du français Pierre Soulages [4]. On croise quelques figures plus pop de cartoons, des graffitis peints à la bombe ou au pochoir, ainsi que des pictogrammes qui se réfèrent peut-être à l’œuvre de Klee (étoiles, damiers, flèches, rayures…).

Ces travaux semblent revendiquer un principe d’incohérence jeté à la face du spectateur. Cette collection de tropes visuels annihile toute chronologie et crée de fait un malaise parce qu’on ne sait jamais si cette désorientation est le fruit d’une action consciente ou inconsciente. Dans cette uchronie picturale les motifs se répètent peu, un manque de relation entre les œuvres récuse toute unité de style. Si bien qu’on accuse parfois les expositions personnelles de Charline von Heyl de ressembler à des expositions collectives [5]. On en vient simplement à se demander si cette bibliothèque de formes ne constitue pas une encyclopédie de la diversité des formes, tropes et gestes susceptibles de suggérer la possibilité d’une peinture d’après l’âge des abstractions.

Postmodernisme ?

Le rapport qu’entretient la peinture de Charline von Heyl avec un postmodernisme spécifiquement allemand tient à sa formation initiale. Elle s’en confie :

« Ce qui fait de vous un artiste est très rarement un professeur. Je ne me souviens pas de la moindre chose que m’ait dite un professeur […] Ce qui est en fait beaucoup plus important dans votre carrière, ce sont vos pairs. » [6]

C’est en allant à Hambourg faire ses études en 1982, à 22 ans, que Charline von Heyl rencontre ses « pairs » : Albert Oehlen, Werner Büttner et Martin Kippenberger. Ceux-ci constituent un groupe d’ainés, tous plus âgés qu’elle, puisqu’ils sont nés dans les années 1953-54. Ils se sont rencontrés cinq ans plus tôt, au milieu des années 1970, à Hambourg. Elle évoque cet entourage décisif trente-cinq ans plus tard en déclarant avoir immédiatement « admiré » [7] les travaux d’Albert Oehlen. Aujourd’hui Albert Oehlen se définit volontiers comme un « peintre postmoderne ». [8] Si bien qu’on pourrait croire que les hybridations des peintures de Charline von Heyl ne sont qu’une déclinaison d’un postmodernisme issu de sa formation de jeunesse.

Pour situer le contexte historique de ses années de jeunesse, à la fin des années 80, l’effondrement des pays de l’Est fait disparaître le grand récit alternatif que fut le communisme d’État en R.D.A. au profit d’un capitalisme néolibéral triomphant. Quand ce métarécit s’écroule, c’est le sujet absolu, censé être moteur de l’Histoire et producteur d’une émancipation de masse qui s’effondre en Allemagne de l’Est. Ce que Francis Fukuyama, chercheur au département d’État américain annonce pompeusement comme une « fin de l’histoire » [9]. On peut considérer que ce désir de rompre avec la grande histoire à un niveau international a trouvé un écho spécifique dans une Allemagne marquée par une histoire catastrophique avec la chute du nazisme et la fin du communisme. C’est ce rapport spécifique aux effondrements successifs de l’histoire allemande qui a certainement différencié le postmodernisme germanique du postmodernisme international. Quand Charline von Heyl se revendique comme une personne « sans histoire » :

« Je suis une personne un peu anhistorique (anhistorical). Je ne suis pas intéressée par le développement linéaire » [10]

On entend une volonté d’en finir avec une histoire trop écrasante : il s’agit d’oublier les culpabilités de l’histoire allemande mais aussi, en tant que peintre, de dénier l’imposition que constitue l’histoire des avant-gardes afin de pouvoir exister soi-même en peinture. Les ambivalences et les destructions plastiques que Charline von Heyl revendique dans son travail métaphorisent possiblement toutes sortes de destruction qui se veulent aussi des constructions. C’est dans ces années que Georg Sebald écrit :

« La nature ne connaît pas d’équilibre, mais enchaîne à l’aveuglette les expériences brutes, et comme un bricoleur insensé démantèle ce qu’elle vient à peine de créer. » [11]

Ces vers pourraient dire la métaphorisation d’une certaine forme de destructivité-constructive inscrite dans les discours que Charline von Heyl tient sur sa peinture. Ceci la place très à distance de la légèreté et de l’ironie militante du postmodernisme international des années 1980. Elle récuse cette ironie en ces termes :

« Les positions auxquelles j’ai été confrontée étaient celles de Sigmar Polke, Jörg Immendorff, Martin Kippenberger et Albert Oehlen. C’était une position très masculine, très moqueuse, et ironique vis-à-vis de la peinture. C’était des positions anarchistes et aussi assez arrogantes. » [12]

C’est avec l’ironie de ses amis de jeunesse que Charline von Heyl, peintre allemande exilée aux États-Unis dans la trentaine, prend ses distances. Ce postmodernisme d’après le postmodernisme tient certainement dans un double rapport : la mise à distance d’une histoire tellement catastrophique qu’elle rend toute vie impossible, de l’autre une angoisse diffuse qui empêche toute illusion d’oblitérer une catastrophe qui fait retour de manière métaphorique en peinture.

La critique de la « position très masculiniste » que dénonce Charline von Heyl chez ses pairs de Hambourg renvoie à une forme d’agentivité, d’émancipation de soi, au sens que les études féministes [13] donnent à cette expression. D’un certain point de vue c’est une position politique. Charline von Heyl retient ce terme d’ « agentivité » (agency) pour désigner la conduite du spectateur devant ses tableaux, comme nous l’avons vu :

« J’ai très rarement eu l’impression que les gens aiment mon travail. Ils aiment toujours cette peinture ou cette peinture ou une autre... Et cela montre déjà qu’il y a de l’agentivité (agency) de la part de celui qui regarde. » [14]

Fait surprenant pour un peintre, elle s’inquiète d’une agentivité liée à la conduite du spectateur. Pour elle, créer c’est produire une suggestion de conduite générée par un acte de lecture de son propre travail. L’agency, au sens des études féministes, ne désigne pas simplement la capacité d’agir, la puissance d’action, l’empowerment que produit l’acte de peindre du point de vue de la production mais aussi l’agentivité qui conduit la réception d’une œuvre. Celle-ci désigne dans ce cas une déconstruction des échanges autour de l’œuvre d’un point de vue spécifique : celui des femmes puisque Charline von Heyl est une femme isolée dans un milieu d’hommes. Dans un tel contexte, pour qu’elle soit performative, cette auto-construction de soi, d’une subjectivation autonome par la peinture ne va pas sans déconstruction des partages genrés qui structurent le monde des peintres. Peintres et collectionneurs ne s’échangent-ils pas depuis des siècles les œuvres d’art comme on s’échange des femmes ?

Si l’on fait le pari que cette constitution d’une agentivité féminine passe par l’abstraction, il n’est pas étonnant que la question de l’abstraction en peinture, médium dévalorisé par le milieu de l’art des années 90, ait été prise au sérieux par nombre de femmes en ce début de XXIe siècle aux États-Unis, très loin de l’héroïsation de l’action painting des années 50. Dans ce cadre, le postmodernisme ou l’art conceptuel par rapport auxquels Charline von Heyl a dû se situer ont pu être perçus comme des positions de surplomb (surplomb ironique ou surplomb du concept) revendiquées vis-à-vis de la peinture. Postmodernisme et art conceptuel sont-ils de simples virilismes ?

Ambivalences d’une abstraction affective

De manière très singulière, comme principal outil d’agentivité en peinture, Charline von Heyl propose une psychogenèse du regard. C’est le jeu plastique et psychique avec l’ambivalence, le goût et le dégoût, l’attraction et la répulsion simultanées qu’elle revendique pour définir une « stratégie » d’abstraction.

« Je ne trouve les choses attrayantes que si elles me répugnent aussi. […] Mais l’art qui est agressivement répulsif ou abject est très limité dans son attrait. […] Pour moi, c’est une sorte de répulsion plus intéressante que l’abject. Le mieux pour créer quelque chose de nouveau, c’est de mélanger ces deux choses et de ne pas faire apparaître leur mélange. L’attraction/répulsion est donc comme la construction/déconstruction. Ce sont des outils. » [15]

Le dégoût qu’elle invoque est ambivalent, à la fois attractif et répulsif. Ce sont donc les échanges qui se nouent entre goût et dégoût, plaisir de peindre et malaise dans la création qui permettent de définir la conduite picturale de Charline von Heyl. À ce titre, elle convoque de manière surprenante son intérêt pour la peinture d’un artiste peu goûté de nombreux peintres : Bernard Buffet.

« Je regarde aussi (ces) peintures […] qui restent intéressantes pour moi car elles sont affreuses (ugly) mais elles fonctionnent en quelque sorte. C’est aussi quelque chose que j’ai essayé de réaliser dans mon propre travail en peignant quelque chose qui me met mal à l’aise (uncomfortable) mais qui finit par trouver sa manière de fonctionner. » [16]

« J’aime le côté directement existentiel de Buffet […] . Je joue dans l’atelier avec ses illustrations pour le livre Toxique (de Françoise Sagan). […] Ses dessins sont conçus dans un style parfaitement nostalgique qui déclenche en moi le désir (de peindre) […] les réactions qu’ils déclenchent en moi me mettent dans un état d’esprit créatif. » [17]

Quand toute histoire s’efface, reste le goût amer d’une « nostalgie toxique » qu’il faut expérimenter de manière « existentielle » pour se mettre à l’œuvre. Charline von Heyl fait ainsi du répulsif et de l’« affreux » (ugly) les moteurs de sa création. On retrouve cette paradoxalité revendiquée dans nombre de ses interventions :

« Destruction et perfection vont de pair, […] j’aime quand les extrêmes se rencontrent » [18]

C’est en usant radicalement de toutes les ressources de l’ambivalence psychique et de la destruction élevées au rang d’outil artistique qu’une possibilité de déconstruction plastique se fait jour. Mais celle-ci passe nécessairement par une psychogenèse du tableau qui fait communiquer créativité et destructivité, peintre et regardeur. Ici un travail plastique tente de retourner des ambivalences destructrices en créativité. La peinture est un travail contre soi, elle engage à passer par le vide.

Ambivalence et psychose

Quand Charline von Heyl déclare qu’elle est très intéressée par « l’art comme suicide » [19], on comprend vite que chez elle le culte de l’ambivalence entretient un rapport très net avec la destructivité et l’auto-destructivité en peinture. Mais pour comprendre les rapports qui se nouent entre ambivalence et auto-destructivité, il faut poser le problème d’un point de vue plus spécifique, d’un point de vue psychique. Voici la définition de l’ambivalence telle que la formule Eugen Bleuler dans un texte fondateur de la psychiatre moderne en 1911 :

« Alors que le sujet sain aime la rose malgré ses épines, le schizophrène aime la rose pour sa beauté et en même temps il la déteste à cause de ses épines » [20].

Du point de vue des affects, il y a « ambivalence » lorsqu’un sujet est soumis à des contraintes contradictoires, qui signent la proximité d’un complexe mental. Celui-ci se traduit sous forme d’injonctions paradoxales [21]. Le « sujet sain » aime la rose malgré ses épines, le psychotique aime la rose et la déteste simultanément sans avoir à choisir quel affect est prévalent. Dans cette simultanéité contradictoire, il n’y a plus de place pour une succession d’oppositions psychiques susceptibles de diachronie, dès lors, sans possibilité de différenciation des affects : le temps s’effondre, et la personnalité explose. L’ambivalence est diagnostiquée par Bleuler comme un symptôme dissociatif lié à la psychose. [22]

L’impossibilité de choisir génère un malaise en peinture, c’est avec ce type d’affects paradoxaux que joue très consciemment Charline von Heyl dans sa pratique d’atelier :

« (Ma) peinture génère des images ou des idées qui provoquent une réaction viscérale de l’esprit (emotional gut reaction of the mind) » [23]

On remarque qu’on passe encore ici du point de vue du peintre à celui du spectateur, comme si les destructions qu’engage le peintre engageaient le regardeur de l’œuvre. Tous deux ne forment plus qu’une seule personne dans une sidération collective. Quand elle affirme vouloir que sa peinture provoque des « réactions viscérales de l’esprit », Charline von Heyl emploie l’expression « emotional gut reaction of the mind  » [24]. Le mot gut désigne en anglais les « viscères » en même temps que le « courage », le « cœur au ventre », il est donc question dans cette peinture d’avoir le cœur bien accroché pour pouvoir subir l’épreuve d’une peinture qui joue avec des états-limites. Car les antinomies sont destructrices pour celui qui les vit à l’état brut, mais potentiellement émancipatrices pour celui qui en fait une épreuve vertigineuse d’exploration de soi à la manière de Mallarmé, figure qui « obsède » Charline von Heyl. Quand elle intitule Igitur une de ses toiles de 2008 – peinture dont le MOMA se porte acquéreur –, voilà comment elle revendique ce titre :

« Igitur est un titre que Mallarmé a constamment changé […] Ce poème traite de l’impossibilité de faire de l’art et de l’art comme suicide, Blanchot était obsédé par Mallarmé et je suis obsédé par ceux qui sont obsédés par Mallarmé. » [25]

À propos d’Igitur de Mallarmé, Jean-Pierre Richard remarque que « Igitur » nous présente la mort comme le seul instrument possible de ressaisissement spirituel. « L’être se réalise ici à travers toute une suite d’expériences négatives. Pour s’éteindre, il lui faut d’abord s’égarer, s’aliéner, et pour se rallumer, s’éteindre. […] Igitur c’est celui qui s’impose à lui-même la loi de n’être pas. » [26]

Cette forme d’agentivité, de « rallumage » passe par l’expérimentation d’une forme d’anéantissement, ce que Mallarmé appelait « intimation ». Pierre Campion en résume les termes du point de vue du rapport entre production et réception de l’œuvre :

« L’intimation dont il est question ne peut être directe, ni explicite ; elle ne peut exprimer les actions à effectuer […] elle est nécessairement suggestive, c’est-à-dire implicite et rusée. […] Calculer malgré cela certains effets de texte pour provoquer certains effets de lecture. Tel est le sens d’une écriture conçue comme stratégie déterminée en vue de toute lecture qui voudrait se concevoir comme une action » [27]

C’est bien de stratégie qu’il s’agit chez Charline von Heyl quand on lui fait remarquer : « (votre) peinture ressemble à une série de stratégies pour faire une peinture » [28]

Toutefois il n’y a pas manipulation du spectateur, cette stratégie est sans certitude de réussite. Elle livre l’œuvre au hasard de ses lectures puisque, comme l’écrit Mallarmé, « un coup de dé jamais n’abolira le hasard ». Chez Mallarmé, l’idée d’« intimation » engage le fait d’abolir magiquement l’objet imité dans le poème, de l’abstraire du réel pour en faire une idée. Il désigne aussi une injonction faite au lecteur à qui il est « intimé », c’est-à-dire « signifié avec autorité », de participer de manière active à une néantisation qui devient la sienne. [29] Quand elle est faite pour « torturer les gens » [30], comme l’affirme Charline von Heyl, sa peinture vise à faire éprouver des oppositions mentales qui se présentent en peinture comme une série de négations impérieuses : des signes se donnent à lire sans signification apparente [31], un récit se dit sans récit, il y a postmodernité sans postmodernisme, une présence se manifeste tout en restant absente, figuration et abstraction se font indiscernables. Ces doubles contraintes systématiques font éprouver des abolitions qui sont une puissance de suggestion en peinture. Telle est l’agentivité ou l’intimation que propose la peinture de Charline von Heyl.

Est-ce parce que la mère de l’artiste est une psychologue d’origine française que cette peintre en est venue à théoriser les processus mentaux qui génèrent son travail dans le vocabulaire de la psychologie moderne ou dans un langage proche de Maurice Blanchot et de la French Theory ? Pour exemple, elle se réfère très consciemment à la psychanalyse freudienne quand elle emploie le mot « fétichisme » pour décrire ce qui marque son processus de création :

« Vous voulez dire fétiche au sens ancien, freudien ? – Oui. – [reconnaît-elle]. » [32]

Les références dont use Charline von Heyl sont donc des concepts qu’elle travaille par des lectures qui lui permettent de réfléchir un processus de création pour l’informer.

Psychose expérimentale ou jeu avec les nerfs du spectateur ? L’ambivalence systématique est ce qu’Harold Searle [33] nomme « l’effort pour rendre l’autre fou ». Le psychanalyste américain montre que les ambivalences se révèlent un outil d’emprise très efficace sur autrui par leur puissance de déréalisation. Toutes sortes de prédateurs psychiques en usent afin de sidérer, de désorienter leur proie, ou afin de faire de l’autre humain un objet de persécution sur fond de sidération.

Toutefois chez Charline von Heyl, l’expérience de l’ambivalence est un outil de « reprise individuelle », au sens politique [34] du terme. Il s’agit d’une réappropriation de la peinture au service d’une émancipation de soi.

« L’esprit se réintègre lui-même en se niant dans l’activité qui est, par excellence, son œuvre » [35], remarque Mallarmé. Au travers d’un travail de négation, l’agentivité du tableau vise ainsi un “empuissantement” (empowerment) du tableau comme « soi ». Travail psychique et travail plastique, que les formalistes opposent du point de vue d’une autonomie de la forme, se font ici indiscernables puisque le tableau est une quasi-personne.

Formes de l’ambivalence

En ce qui concerne les modalités formelles de ce processus de négation Charline von Heyl précise :

« Je construis la forme en la détruisant et en lui donnant une autre forme. En construisant le tableau par superposition de couches, j’obtiendrais des formes que je n’aurais jamais pu inventer. […] Il y avait donc dès le départ le désir de créer un espace mental alternatif dans le tableau » [36]

Cet « espace mental alternatif » est fondé sur un usage raisonné de l’ambivalence qui a pour objectif de créer des situations d’« inconfort » [37] (uncomfortable), de malaise visuel, de gêne, d’embarras, de déplaisir, tant pour le peintre que pour le spectateur. Le pari de cette aventure est que l’amphibologie psychique, quand elle se met au service d’un travail plastique devient un outil de génération de formes par une destruction créative. De la même manière que des cellules peuvent proliférer parce qu’elles sont simultanément programmées pour se suicider.

« L’attraction/répulsion sont donc comme la construction/déconstruction. Ce sont des outils (tool). » [38]

Très matériellement, à propos de la toile intitulée Dunce de 2005, quand on lui pose la question de savoir comment commence une toile, Charline von Heyl répond que cette toile a commencé par le souvenir d’une illustration qu’elle a vue quelque part et dont elle n’a retenu que la « forme » pour en faire un pochoir. Artiste non conceptuelle, elle ne part « jamais d’une idée » [39], même si des idées informent la méditation de son processus pictural. Tout commence donc selon elle par la projection sur la surface de la toile d’une forme informe, d’une proto-image, d’un proto-geste, ou parfois d’une teinte :

« Pour moi, l’expression gestuelle consiste à mettre une forme dans une toile, mais finalement, ce n’est pas intéressant parce qu’elle n’est que le miroir d’un mouvement et d’une énergie. Je peux utiliser ceci à un moment, comme le commencement d’une peinture. » [40]

Ce proto-geste, cette forme de base a donc valeur de miroir, c’est-à-dire d’une « projection » qu’elle définit comme « fétichiste » :

« Mes tableaux sont presque la conclusion d’une série d’étapes de projections fétichistes » [41]

« J’ai réfléchi dernièrement à ce qui m’a motivée à venir dans un atelier tous les jours et toutes les semaines, et je pense que cela vient du fait d’être fétichiste. Cela a commencé quand j’étais enfant. » [42]

Il y a au départ une projection-miroir qui génère une toile « par étapes » et cette projection « fétichiste », « complètement folle » fait « courir la peinture » dans un devenir-animal anonyme qui réussit à transformer l’ambivalence en énergie.

« Disons que je commence par une couleur métallique, parce qu’elle me rappelle un objet dont j’étais complètement folle. La couleur me donne quelque chose dont j’ai besoin, pour ainsi dire. Je mets cette couleur métallique dans le tableau – et dès que je fais cela, quelque chose se produit. Soudain, cette couleur a besoin d’une autre couleur. Je vais courir avec le tableau, comme si c’était un chien en laisse. » [43]

Fétichisme de la peinture ? Cet affolement « fétichiste » initie un cycle de projections qui prennent corps dans la stratification des couches sur la toile : une couche est peinte à l’acrylique, une autre à l’huile, une troisième au fusain, une quatrième au pochoir. Ces strates finissent par se recouvrir, se contredire, s’oublier, s’effacer, plutôt que dialoguer ou se réinterpréter les unes les autres. Une couche peut être rapide, l’autre lente en fonction des temps de séchage, d’attente et de reprise du travail. Quand Charline von Heyl explique qu’elle mobilise parfois une écriture cubiste c’est

« pour modifier la vitesse de perception et introduire des vitesses différentes voire contradictoires dans le recouvrement des formes » [44].

Il y a donc une plasticité de l’ambivalence qui passe par un processus de contradiction de vitesse et de temps dans la matérialité des couches, celle-ci annule toute idée de chronologie. C’est par ce travail d’incohérence, de décohérence procédurale que des proto-formes se font « signes » :

« Ce que j’essaie de faire, c’est de créer une image qui a la valeur iconique d’un signe mais qui reste ambiguë dans sa signification. Quelque chose qui ressemble à une représentation mais qui ne l’est pas. Quelque chose qui semble avoir un contenu ou un récit mais qui n’en a pas. Quelque chose qui plane devant le tableau au lieu d’être juste là ». [45]

Cette ambivalence de formes, leur décohérence programmée, génère par étapes successives la constitution de l’agentivité du tableau en signes. Ces signes s’échangent entre eux au fil des couches, dans un espace autoréférentiel. S’instaure une antinomie picturale qui fait du tableau une entité autonome, indépendante du réel.

Peinture agentive, peinture magique

Le tableau est l’enjeu d’une reprise individuelle, mais cette prise d’autonomie ne passe pas par l’action directe, mais par un travail procédural et indirect sur les signes. Cette action indirecte, n’est-ce pas ce que Mallarmé nommait « action restreinte » ?

« L’idée de Mallarmé est que l’art n’est ni tout-puissant ni impuissant, il ne peut qu’exercer une action restreinte, qui passe par le travail sur les signes. Il change le monde en instaurant de nouvelles relations au sein des signes. » [46]

La puissance de l’art tient à sa capacité à réagencer les signes. Et c’est là qu’une définition politique et féministe de l’agentivité communique avec une définition anthropologique et quasi primitiviste de l’acte de peindre. Car chez Charline von Heyl, l’agentivité relève d’une sorte de magie. Peindre c’est « charger » un tableau, comme on charge un fétiche.

L’ « agentivité » (agency), au sens esthétique est un concept employé par l’anthropologie anglaise [47] des années 1990, elle concerne le pouvoir d’attraction de certains artefacts. Certains objets captivent parce qu’ils manifestent pour le spectateur (comme pour l’artiste) un pouvoir de fascination qui semble dépasser les simples possibilités humaines et relever du prodige. Pour l’anthropologue Alfred Gell, ce type d’enchantement est lié aux relations de pouvoir qu’entretiennent certaines productions plastiques extra-européennes avec le spectateur. Pour Gell l’agentivité ne relève pas des critères de beauté occidentaux, en Nouvelle-Guinée elle s’exprime par la terreur qu’inspire la proue d’une pirogue sculptée, par exemple.

Cette idée d’une présence quasi-magique d’un artefact, on la retrouve dans nombre de discours que tient Charline von Heyl sur ses peintures. Elle revendique à titre d’agentivité leur fétichisation, cette charge qui leur accorde la puissance de quasi-personnes :

« Mes peintures [...] ont une présence auratique malgré elles. » [48]

« La présence est quelque chose que je veux que l’image porte » [49], « La satisfaction vient du fait de charger des objets avec quelque chose. » [50]

« Je pense qu’une peinture doit être énigmatique » [51]

Déclarations qui évoquent à nouveau certaines positions de Mallarmé pour qui l’œuvre est d’abord célébration « magique » d’un mystère :

« Je dis qu’existe entre les vieux procédés et le sortilège, que restera la poésie, une parité secrète [...]. On ne déniera au cercle que perpétuellement ferme, ouvre la rime une similitude avec les ronds, parmi l’herbe, de la fée ou du magicien » [52]

Quand elle décrit son processus de travail, on entend dans les discours de Charline von Heyl les accents de la magie suggestive et de la page blanche mallarméenne :

« Voici une toile blanche, et je vais y mettre quelque chose dessus. Ça me semble toujours quelque chose de vraiment ridicule que de faire ça. Mais ça semble aussi une profanation, ça prend une énergie énorme. » [53]

On pense à l’énergie que le chamane doit déployer quand il meurt symboliquement pour négocier avec le monde des esprits. À la manière de la page blanche mallarméenne, il y a une forte présence du blanc, du vide, du silence dans les peintures de Charline von Heyl. C’est avec cette magie blanche qu’il faut maintenant s’expliquer.

Poétique du blanc : le Fading

Chez Charline von Heyl le blanc est effacement : effacement plastique, effacement mental.

« Mon esprit travaille à la manière d’une captation de vidéosurveillance qui enregistre et efface en boucle. » [54]

« Peindre, pour moi, a toujours eu quelque chose à voir avec la possibilité de m’oublier » [55], explique-t-elle aussi. Effacement plastique, blanc psychique, comment comprendre le lien psycho-plastique entre effacement en peinture et oxymores mentaux ?

Si l’on revient aux théoriciens de l’ambivalence, Bleuler associe l’ambivalence psychique à la Spaltung [56]. Ce terme allemand désigne une « déchirure », une « coupure », qu’on traduit en français par « scission », « dissociation ». La dissociation c’est l’impossibilité à associer. Quand on ne peut plus associer toute parole s’effondre, il y a un blanc, l’aphasie s’installe. C’est ce qu’on nomme dans le vocabulaire de la psychiatrie à partir de Bleuler : fading [57].

Le fading mental c’est l’évanouissement du cours de la pensée et l’arrêt progressif du flux de paroles d’un patient. Soudainement, la parole « décline », « dépérit » pour se perdre complètement. Dans certains cas, c’est pour reprendre son cours à partir d’une source complètement inconnue du patient. Cette expression de la dissociation en peinture Charline von Heyl l’appelle son « cringe factor » [58]. En anglais, l’expression désigne un sentiment d’accablement, d’humiliation, l’envie de « rentrer sous terre », un total repli sur soi. Charline von Heyl associe ce sentiment d’anéantissement, de sidération au processus créatif. Que produit l’ambivalence, l’incertitude poussée à sa limite sinon la sidération ? Menée à son paroxysme, l’ambivalence éteint toute discursivité. D’où une peinture théorisée mais simultanément travaillée par l’impossibilité du dire, par la disparition du langage. C’est la raison pour laquelle Charline von Heyl explique souvent qu’il est quasi vain, voire impossible mettre des mots sur ce qui se passe dans la peinture abstraite [59].

« Ce que je fais est conceptuel dans le sens où cela crée un espace mental qui n’a pas pour objet de peindre de manière simpliste mais c’est une peinture qui ferait une déclaration sans s’appuyer sur des mots. Cela, c’est quelque chose qui m’a toujours intéressée. » [60]

De strate en strate, c’est moins une sédimentation du temps dans la peinture qui s’effectue qu’un processus systématique d’enchaînement par effacements, par destructions des liens logiques qu’opèrent le langage, le temps et le récit, d’où la disparition de toute historicité. C’est par la stratification de ces décohérences qui sont autant d’épreuves de l’écœurement que l’abstraction se fait « extranéation » [61], c’est-à-dire aliénation, passage au dehors.

Dans cette décohérence, c’est le principe de non contradiction qui s’effondre et c’est ici qu’on passe d’une esthétique de la blancheur au gris. Je pense ici à ce texte fondateur de l’abstraction de Paul Klee, qui affirme :

« Cet être-néant ou ce néant-être est le concept non conceptuel de la non-contradiction. Pour l’amener au visible, il faut faire appel au concept de gris, au point gris, point fatidique entre ce qui devient et ce qui meurt [...]. Établir un point dans le chaos, c’est le reconnaître nécessairement gris en raison de sa concentration principielle et lui conférer le caractère d’un centre originel d’où l’ordre de l’univers va jaillir et rayonner dans toutes les dimensions. Affecter un point d’une vertu centrale, c’est en faire le lieu de la cosmogenèse. À cet avènement correspond l’idée de tout Commencement ». [62]

Halluciner l’abstraction ?

La mobilisation de toutes les forces de l’appareil psychique pour se faire l’enregistreur de forces inconscientes, l’enrôlement du vocabulaire de la psychiatrie moderne au service de la création, tout cela pourrait renvoyer au surréalisme des années 20, aux expériences poétiques et médicales de Breton à l’hôpital de Saint-Dié ou à la méthode paranoïaque critique de Salvador Dali. À cette différence près que le surréalisme mobilisait la rêverie hypnagogique, le préconscient, l’hystérie et toutes les puissances de l’inconscient au service de la création et en vue d’une émancipation politico-esthétique. Ici rien de tel, avec le fading il y a coupure, disjonction. Quand l’agentivité se fait intimation, il n’y a pas association libre mais dissociation forcée, on passe de la névrose au domaine des psychoses. L’extranéation est « forclusion » selon Lacan [63] :

« Les signifiants forclos ne sont pas intégrés à la conscience du sujet ; ils ne font pas retour de l’intérieur, mais au sein du réel, singulièrement dans le phénomène hallucinatoire. » [64]

Le névrosé a encore accès à son inconscient qu’il symbolise dans le rêve, le psychotique est en-deçà de toute symbolisation, investi de signes énigmatiques, d’objets menaçants, malveillants, d’hallucinations et de cauchemars qui le traversent. Quand Charline von Heyl évoque cet « espace mental concentré qui permet de voir bien au-delà de la pensée » [65], on est dans un registre de vocabulaire qui peut faire penser aux hallucinations de Flaubert. Il les décrit dans une lettre à Taine en 1866 :

« Dans l’hallucination artistique, le tableau n’est pas bien limité, quelque précis qu’il soit. Ainsi je vois parfaitement un meuble, une figure, un coin de paysage. Mais cela flotte, cela est suspendu, ça se trouve je ne sais où. […] L’hallucination artistique ne peut porter sur un grand espace, se mouvoir dans un cadre très large. Alors on tombe dans la rêverie et on revient au calme. C’est toujours comme cela que cela finit. Vous me demandez si elle s’emboîte pour moi dans la réalité ambiante ? Non. – La réalité ambiante a disparu. Je ne sais pas ce qu’il y a autour de moi. J’appartiens à cette apparition exclusivement. » [66]

Dans l’hallucination artistique, « la réalité a disparu » constate Flaubert le « flottement » s’installe. Charline von Heyl exprime dans un vocabulaire très similaire la déréalisation qu’elle veut créer par abstraction :

« Quelque chose flotte (hovering) devant le tableau au lieu d’être juste là ». [67]

Elle emploie ce même mot « hovering » (« flotter », « planer ») pour affirmer, sur le registre d’une destruction :

« Je suis en train de flotter (hovering) entre abstraction et représentation une fois de plus, je me lance dans une folie meurtrière. » [68]

Dans les peintures de Charline von Heyl, il s’agit moins d’halluciner l’abstraction, de la délirer, que d’explorer les conditions de possibilité d’un déni de réalité que constitue le cœur de toute psychose et dont l’abstraction fait l’épreuve quand elle implique une dissolution du réel. C’est aux limites du visible qu’elle se fait visionnaire.

Mindfuck : l’hallucination scénarisée

La figure de rhétorique visuelle que retient Charline von Heyl pour exprimer cette psychose expérimentale dans ses entretiens est le «  mindfuck ». Elle emprunte ce terme aux codes des films policiers des années 90 :

« Je serai capable d’ajouter une couche de peinture à la précédente qui la contredise pour la produire, puis une autre… C’est une sorte de « mindfuck visuel » (a kind of visual mindfuck) dont je veux que le spectateur fasse l’expérience ultime, c’est là le type de malaise (cringe), [qui permet de passer] du viscéral au visuel. » [69]

Il convient de « démonter » la « production » de ce « mindfuck visuel » pour identifier comment fonctionne l’espace mental que propose la peinture de Charline von Heyl. Car le mindfuck, qui participe à la rhétorique du montage des films des années 90, met précisément en scène des figures visuelles de l’ambivalence et du paradoxe à l’écran.

Le mindfuck est un procédé qui consiste à jouer d’un montage alterné, de pièges narratifs, de points de vue contradictoires et d’un entrelacement complexe de séquences filmiques afin de désorienter volontairement le spectateur, tout cela dans le but de le perdre dans toutes sortes de rebondissements avant le retournement final de l’action. Dans les années 90, en pleine mondialisation, le mindfuck comme procédé cinématographique à la mode consacre le triomphe du désarroi, de l’indécision, de l’inquiétude, de l’indétermination en se faisant le chantre de tout ce qui flotte, tergiverse dans l’image et rend les spectateurs du monde global perplexes face à la mondialisation qu’ils vivent. En général, ces spectateurs sortent des salles obscures doutant de tout, et même du fait d’avoir vu un film.

Il n’est pas anodin que la plus grande rétrospective organisée autour du travail de Charline von Heyl, celle du Hirshhorn Museum de Washington [70] et des Deichtorhallen de Hambourg en 2018-2019, ait précisément emprunté son titre à un film de Brian de Palma de 1998 : Snake Eyes. Ce film déroutant montre précisément un cas d’école de mindfuck cinématographique.

Le film débute significativement par le tournage d’un reportage de télévision. Les plans qui suivent viennent démonter cinématographiquement la manière dont les chaînes d’information en continu opèrent le télé-montage (étymomogiquement le montage « à distance ») de la réalité. Ce film veut démonter cette illusion. L’espace visuel est envahi par des scènes de régie-directes, leur multifenêtrage était à l’époque à la base du fonctionnement du montage de l’actualité qu’opéraient en temps réel les chaines d’information en continu. Dans ces régies le réalisateur est placé devant une mosaïque d’images qui sont autant de rushes qu’il sélectionne et monte en continu. On notera que de nombreuses peintures de Charline von Heyl fonctionnent selon ce principe de multifenêtrage.

L’objet du scénario de Snake Eyes est de déconstruire la logique du montage d’un événement : le meurtre d’un politicien lors d’un match de boxe à la manière de l’attentat de Kennedy à Dallas. Le match a lieu dans un palais des sports qui ressemble à un immense plateau de télévision. Celui-ci est saturé de caméras de vidéosurveillance dont l’enregistrement continu permet toutes sortes de flashbacks et d’effacements des bandes filmées. Si bien que dans cet espace clos, monadique, « sans fenêtre » [71] (la police a bouclé les entrées pour les nécessités de l’enquête), l’assassinat est capté d’une multitude de points de vue contradictoires qui conduisent l’intrigue au travers de toutes sortes de rebondissements. Le renversement systématique des points de vue divergents, antinomiques, contradictoires désoriente le spectateur qui en vient à comprendre que la logique des images du divertissement télévisuel, comme celle du néo-libéralisme triomphant des années 90 – n’est finalement pas très loin d’une certaine forme de déréalisation psychotique.

Dans ce jeu de points de vue, ce que suggère l’expression très vulgaire de mindfucking c’est que le regardeur des peintures de Charline von Heyl, à l’instar du téléspectateur du film de De Palma, est littéralement invité à « baiser et à se faire baiser » par le biais d’un montage sidérant toute possibilité d’accéder à la réalité. Ingurgitant un flot de clichés, le spectateur éprouve les antinomies d’une emprise mentale incontrôlable. Cette intrusion dans la conscience est un viol mental. Une implacable logique de flux (d’images, de marchandises, de capitaux) impose des rapports ambivalents d’attraction/répulsion sur fond de domination globale.

Si l’on poursuit sur la notion de mindfucking, cette locution désigne plus largement quelque chose de « déroutant », d’« embrouillé », de « confus », de « paradoxal ». Le mindfuck cinématographique est donc construit sur un usage systématique de la paradoxalité spectatorielle. Le double bind, le jeu avec une double contrainte scénaristique affaiblit le moi du spectateur, le désarroi s’ensuit. Le mindfuck met en scène l’artificialité de l’illusion diégétique pour provoquer des oscillations, des allers-retours, des antinomies psychiques et de multiples ambivalences qui consacrent par leur embrouillement une sorte de dissociation, d’effondrement et finalement d’explosion de la conscience spectatorielle. Ceci explique pourquoi, sur fond de déréalisation, les films de mindfucking sont souvent peuplés de personnages paranoïaques ou de psychotiques hagards qui sont autant de métaphores de la condition visuelle que ces films orchestrent.

Si l’on en croit ses propos, Charline von Heyl reprend ce procédé de dissociation scénaristique au service d’un processus d’abstraction et de déréalisation pictural. Elle s’applique à elle-même cette procédure de perte de repères, d’anti-scénarisation pour expérimenter une forme d’incertitude féconde en peinture. Cette culture du viol des regards et des consciences constitue métaphoriquement la gigantesque toile de fond sur laquelle s’exerce une projection de fantasmes à l’échelle planétaire. Charline von Heyl ne parle-t-elle pas de violation  [72] pour désigner son processus de création ? Il y a là la recherche d’une revanche de la peinture sur l’emprise des écrans, et de ce qui fait écran à notre perception de la réalité.

On note que la peinture de Charline von Heyl partage de nombreuses caractéristiques de l’image écranique. Ses tableaux évoquent le multi-fenêtrage des écrans d’ordinateurs mais ils évoquent aussi les images produites au moyen de machines. Les procédés de collage, de masquage, de superposition, de déformation, de filtrage et de clonage de ces peintures renvoient aux logiciels de traitement d’images numériques programmés au début de l’époque numérique. Ainsi, le traitement par couches de la peinture renvoie moins au travail classique des glacis de la peinture à l’huile qu’aux procédés de layering qui sont devenus la signature des grands logiciels de compositing et d’effets spéciaux des années 90. A cette différence près que les couches ne se composent pas mais se repoussent. Charline von Heyl travaille sans ordinateur, les rapports qu’elle entretient avec l’image numérique ne sont pas directs mais distants. C’est la raison pour laquelle une forme de numérisation, c’est-à-dire d’abstraction de l’image, fait « planer » des fantômes d’abstraction en surface dans ses tableaux.

Post-romantisme ?

Le fading, le barrage de toute parole, le blanc sidère. Être sidéré c’est « subir l’influence des astres », si bien qu’on pourrait penser que cette sidération renvoie à une extase cosmique, de type romantique. Car Charline von Heyl revendique effectivement la tradition romantique allemande pour comprendre son travail :

« La tradition romantique allemande était-elle importante pour vous quand vous étiez plus jeune ? – Oui, mes parents avaient des affiches de Caspar David Friedrich accrochées chez nous. J’aime le pathos, c’est peut-être mon côté allemand. J’aime la façon dont ce sentiment résonne dans le silence, le faux silence d’un paysage. Le pathos est un sentiment qui a une emprise sur le temps. Il peut s’étendre à tout moment. C’est là où je veux en venir avec mes peintures : avoir ce moment élargi, et pour cela j’ai besoin de ce genre de sentiment. »

Depuis Baudelaire le romantisme est affaire de sentiments, de manière de sentir, voire de pathos :

« Le romantisme n’est précisément ni dans le choix des sujets ni dans la vérité exacte, mais dans la manière de sentir. Ils l’ont cherché en dehors, et c’est en dedans qu’il était seulement possible de le trouver. » [73]

« Vous ressentez ce genre d’anxiété dans l’atelier et plus largement dans votre vie d’artiste ? – Oui, dans le paradoxe […] c’est un anachronisme d’être peintre, on se sent extrêmement fragile et on ne peut pas contrecarrer ça par un pathos simulé. » [74]

Le retour au pathos, à l’angoisse existentielle née de l’ambivalence au long cours montre qu’on se situe là du côté de l’exploration d’un versant possiblement pathique de la création. Ici ce pathos passe par une dialectique des affects qui consacrent un effondrement du temps. Charline von Heyl réfère cet arrêt du temps à l’image dialectique chez Walter Benjamin, ce qui est une position typiquement romantique :

« Walter Benjamin a défini l’image comme une ’dialectique à l’arrêt’. Je ne vois pas de raison de ne pas franchir ce pas, même s’il y en a qui pensent que ce ne peut plus être une option possible » [75]

Le sublime consacre l’ambivalence et la paradoxalité comme essence du romantisme. De Burke à Kant jusqu’au Vésuve de Leopardi le sublime est toujours affaire de pathos, d’affects contradictoires et de contrastes, de plaisir et de danger, de grand calme et de crainte associés, d’attraction et de répulsion mêlées, de tranquillité et d’horreur éprouvées, de délice et d’effroi associés. Le sublime repose sur une esthétique de l’oxymore [76] qui opère la conjonction d’une attirance et d’une terreur simultanées. Ces ambivalences se font présentation de l’incalculable. L’origine du sublime c’est aussi le paradoxe d’une nature capricieuse, schizophrène, imprévisible qui montre négativement l’infini pour lui tendre un miroir.

Quand Charline von Heyl évoque l’influence de la peinture de Caspar David Friedrich, ses déclarations prennent une distance spectaculaire avec le postmodernisme puisque, comme l’indique Frederic Jameson, grand théoricien de ce courant, « angoisse et aliénation n’ont plus leur pertinence dans le monde post moderne » [77].

Toutefois s’en tenir à un simple retour au romantisme et au sublime (façon Barnett Newman) dans l’abstraction qu’elle propose semble un peu court. Le sublime invoqué par Charline von Heyl évoque plus la religion littéraire de Mallarmé, une religion des signes et de leur transmutation dans un espace mental restreint qu’un sublime cosmique à la manière des romantiques allemands. Là, tout est question d’échelle ; car le sublime de Charline von Heyl, comme la liturgie poétique mallarméenne, relèvent d’un sublime d’appartement. Il y a chez Mallarmé [78] l’« aboli bibelot d’inanité sonore » et la liturgie du « Livre » qui renvoient au monde du mobilier et de la liturgie domestique. Chez Charline von Heyl, c’est le monde du pavillon d’enfance qui se constitue en réceptacle d’expériences primordiales. Lorsqu’elle évoque la peinture de Caspar David Friedrich, l’artiste ne fait pas référence à des tableaux qu’elle aurait pu voir à la Alte National galerie de Berlin, mais à des affiches qui décoraient le pavillon de ses parents [79]. Affiche ou papier peint, le tableau renvoie la question du tragique en peinture aux antipodes du romantisme allemand dans une désublimation complète de la question. Le charme de l’artefact n’opère pas sur fond de nature grandiose mais de kitsch populaire. Le signe romantique se fait miroir de l’infini, ici rien de tel, les signes fonctionnent dans un espace autoréférentiel et clos. La post-abstraction de Charline von Heyl n’est qu’un jeu infini de signes, mais à la manière d’artefacts qui se reflètent les uns dans les autres, sur fond de néant.

« Les mots – qui sont déjà assez eux pour ne plus recevoir du dehors – se reflètent les uns dans les autres jusqu’à n’avoir plus leur couleur propre, mais n’être que les transitions d’une gamme » [80], écrit Mallarmé. Des signes se renvoient les uns aux autres comme autant de nœuds qui s’entre-expriment dans les bifurcations et les carrefours d’un procès immanent de signification. Toutefois, dans cette paradoxalité visuelle, il s’agit moins de simulation que de réactiver une certaine puissance de signification de la peinture, alors que celle-ci a été déclarée conceptuellement insignifiante du point de vue des enjeux de l’art de la fin du XXe siècle.

Méta-abstraction

Depuis Kupka ou Delaunay, l’abstraction récuse tout rapport avec la réalité, si l’on part du constat que peindre c’est nier la réalité, la peinture abstraite partage avec la psychose un même déni de réalité. Dès lors se donner les moyens d’une psychose expérimentale peut être une voie d’expression psychoplastique pour exprimer en peinture cette puissance de négation interne propre à l’abstraction. Dans ses entretiens, Charline von Heyl engage une élucidation métapsychologique d’un travail qui permet de poser l’hypothèse d’une méta-abstraction. Il s’agit d’une abstraction qui se sépare de l’abstraction « classique » tout comme la psychanalyse, baptisée « métapsychologie » par son fondateur [81], s’est séparée de la psychologie antérieure, jugée trop « métaphysique ». Une méta-abstraction est une abstraction post-métaphysique, une abstraction du dépassement de l’abstraction métaphysique, liée à la question du sublime.

D’un autre point de vue, interne à l’espace des signes, on dit d’un poème qu’il est métapoétique quand il porte sur la poésie elle-même. L’abstraction devient méta-abstraction quand elle devient une abstraction de l’abstraction pour exposer plastiquement une problématique de l’invisibilité et de l’invisibilisation. C’est là l’enjeu de l’agentivité d’une peinture féminine qui a très attentivement médité l’expérience suggestive de Mallarmé.

Notes

[1Voir Jason Farago, « An interview with Charline von Heyl ».

[2Nous travaillerons à partir du corpus d’entretiens suivants :
1- Shirley Kaneda. Interview de « Charline von Heyl », in Bomb Magazine, New York, automne 2010, n° 113, pp. 80-87.
https://bombmagazine.org/articles/charline-von-heyl,
Noté « Bomb ».
2- Robert Enright, Meeka Walsh, « Too little and to much – All the time, Charline von Heyl and the life of painting », Border Crossings Magazine, Winnipeg, septembre-novembre 2014, volume 33, n° 3, pp. 34-50. https://bordercrossingsmag.com/article/too-little-and-too-much-all-the-time.
Noté « Border Crossings Magazine ».
3- Jason Farago, « An interview with Charline von Heyl », Even Magazine, n°7, 2017. http://evenmagazine.com/charline-von-heyl/.
Noté « Even ».
4- Raphael Rubinstein, « Art in Conversation, Raphael Rubinstein with Charline von Heyl », The Brooklyn Rail, Critical Perspectives on Art, Politics and Culture, New York, Novembre 2018.
Article en ligne à cette adresse : https://brooklynrail.org/2018/11/art/CHARLINE-VON-HEYL-with-Raphael-Rubinstein
Noté « Brooklyn Rail ».

[4Gavin Delahunty, « Optimistic abstraction », in Tate Etc., Londres, n° 24, printemps 2012, p. 13.

[5Lynne Cooke, « Charline von Heyl, Philadelphia and Boston », Burlington Magazine, volume 154, juin 2012, n° 1311, p. 450.

[6Données biographiques extraites de l’entretien publié dans le magazine Even.

[7Border Crossings Magazine, p. 40.

[8« Immendorff et Kippenberger sont devenus des figures historiques, le premier pour sa peinture politique véhémente, le second pour avoir poussé l’éclectisme des styles et des références à son comble – ce qui fait de lui l’un des héros du post-modernisme. Ce dernier terme convient à Albert Oehlen, comme à son frère Markus, également peintre. Il l’accepte sans hésiter. » Voir Philippe Dagen, « Le geste d’Albert Oehlen, au plus près de la matière picturale » in Le Monde, jeudi 3 décembre 1999, p. 20.

[9Francis Fukuyama, The End of History and the Last Man, New York, Free Press Publisher, 1992.

[10PhyllisTuchman, « Making a Painting More Alive : Charline von Heyl’s Hirshhorn Museum Survey is a Master Class in Abstraction », Art News, Mars 2019.

[11Winfried Georg Sebald, D’après nature, Arles, éditions Actes Sud, 2007, p. 24. Avant d’écrire le célèbre livre intitulé De la destruction, consacré à la mémoire du bombardement des villes allemandes par les forces alliées en 1945, W.G. Sebald a écrit D’après nature, un recueil poétique qui annonçait les thèmes de ce livre.

[12Bomb, p. 83.

[13Judith Butler, Défaire le genre, Paris, éditions Amsterdam, 2012.

[14Voir Even, ibidem.

[15Border Crossings Magazine, p. 48.

[16Tobias Gray, Wrestling with the uncomfortable, Modern Painters, volume 30, n° 8, 1er septembre 2018, p. 85.

[17Toxique est le journal d’un séjour en clinique de désintoxication de Françoise Sagan illustré par Bernard Buffet, publié aux éditions Julliard à Paris en 1964.

[18The Brooklyn Rail, ibidem.

[19Bomb, ibidem.

[20Eugen Bleuler, « Dementia praecox ou Groupe des schizophrénies », 1911, coédition GREC/EPEL, Paris, 2001.

[21Bateson, G., Jackson, D. D., Haley, J. & Weakland, J. (1956), « Towards a Theory of Schizophrenia » in Behavioral Science, Vol 1, pp. 251-264.

[22Voir à ce sujet : Véronique Beretta, Luis Alameda, Lilith Abrahamyan Empson et Alessandra Solida Tozzi, « L’ambivalence selon Bleuler, les nouvelles trajectoires d’un symptôme oublié », Médecine & Hygiène, « Psychothérapies », n° 1, vol. 35, 2015, pp. 5-19.

[23Border Crossings Magazine, p. 35.

[24Border Crossings Magazine, p. 35.

[25Bomb, ibidem.

[26Jean-Pierre Richard, L’Univers imaginaire de Mallarmé, Paris, éditions du Seuil, 1961, p. 184.

[27Pierre Campion, Mallarmé. Poésie et philosophie, Paris, éditions des Presses Universitaires de France, 1994, p. 45 sq.

[28Border Crossing Magazine, p. 40.

[29Pierre Campion, Mallarmé. Poésie et philosophie, ibidem.

[30Even, ibidem.

[31Bomb, p. 86.

[32Even, ibidem.

[33Harold Searles, L’Effort pour rendre l’autre fou, Paris, éditions Gallimard, 2003.

[34Ce mot désigne chez les anarchistes insurrectionalistes du début du XXe siècle, une forme d’action directe qui consiste à voler des biens aux dominants pour les redistribuer aux dominés. La reprise individuelle passe chez Charline von Heyl par une action indirecte comme nous le verrons par la suite.

[35Pierre Campion, Mallarmé. Poésie et philosophie, p. 36.

[36Border Crossings Magazine, p. 40.

[37Bomb, p. 80.

[38Border Crossings Magazine, p. 48.

[39Bomb, p. 83.

[40Border Crossings Magazine, p. 40.

[41Voir Jason Farago, « an interview with Charline von Heyl ».

[42Brooklyn rail, ibidem.

[43Border Crossings Magazine, Ibidem.

[44Bomb, p. 86.

[45Bomb, p. 86.

[46Voir à ce sujet : Yves Michaud, « L’action restreinte, l’art moderne selon Mallarmé : exposition. », article de l’Encyclopaedia Universalis à propos de l’exposition L’action restreinte, l’art moderne selon Mallarmé qui s’est tenue au Musée des beaux-arts de Nantes du 8 avril-3 juillet 2005, catalogue de Jean-François Chevrier, Paris, éditions Hazan, 2005 et Stéphane Mallarmé, Divagations, Paris, Eugène Fasquelle éditeur, 1897, pp. 255-262.

[47Alfred Gell, Art and Agency. An Anthropological Theory. Oxford, Clarendon Press, 1998.

[48Bomb, p. 85.

[49Border Crossings, p. 40.

[50« I have very rarely felt that people like my work. They always like this painting or that painting or another painting... And that shows, already, that there is agency in whoever looks. » Jason Farago, « an interview with Charline von Heyl », Ibidem.

[51Even, ibidem.

[52Stéphane Mallarmé, Divagations, « Magie », Paris, Eugène Fasquelle, éditeur, 1897, p.326-327.

[53Bomb, p. 83.

[54Bomb, p. 85.

[55Border Crossings Magazine, p. 39.

[56Eugen Bleuler, 1911, Ibidem.

[57Jean-Pierre Olié, Thierry Gallarda et alii, Psychiatrie, le livre de l’interne, 2012, édition Médecine Sciences Publications, p. 205.

[58Bomb, p. 83.

[59Bomb, p. 85.

[60Border Crossings Magazine, p. 40.

[61L’extranéation (Entfremdung) est un concept hégélien issu de la Phénoménologie de l’esprit. Elle est une nuance de l’aliénation où l’étranger est ressenti comme hostile, vécu dans la détestation, parfois de soi-même. Voir à ce propos John Torrance, « Aliénation, Extranéation et rapport de propriété », in L’Homme et la société, année 1979, n° 51-54, pp. 179-201.

[62Paul Klee, Théorie de l’art moderne, « Note sur le point gris », Paris, Denoël, 1985, p. 56.

[63Jacques Lacan, La Psychanalyse, IV, éditions des Presses Universitaires de France, Paris, pp. 1-50.

[64Jean Laplanche et Jean-Baptiste Pontalis, Dictionnaire de psychanalyse, article « Forclusion », Paris, Presses Universitaires de France, 1967, p. 164.

[65Bomb, p. 85.

[66Gustave Flaubert à Taine, « Lettre du 1er décembre 1866 », Correspondance, Paris, éditions Gallimard, 1998, p. 499. Au sujet de l’hallucination artistique : Jean-François Chevrier, L’Hallucination artistique, de William Blake à Sigmar Polke, éditions l’Arachnéen, Paris, 2012.

[67Bomb, p. 86.

[68Bomb, p. 85.

[69Bomb, p. 85.

[70Hirshhorn Museum and Sculpture Garden, Washington, USA, Charline von Heyl : Snake Eyes, 8 novembre-21 avril 2019 ; Deichtorhallen de Hambourg, 22 juin-23 septembre 2018.

[71« Les Monades n’ont point de fenêtres, par lesquelles quelque chose puisse entrer et sortir ». Leibniz Monadologie, § 7, Paris, éditions Delagrave, 1980, p. 144.

[72Bomb, p. 83.

[73Charles Baudelaire, « Qu’est-ce que le romantisme ? », « Salon de 1846 », Curiosités esthétiques, in Œuvres complètes de Charles Baudelaire, Paris, Michel Lévy frères éditeur, 1868, vol. II, p. 84.

[74Border Crossings Magazine, ibidem.

[75Bomb, p. 86.

[76Yvon Le Scanff, Le Paysage romantique et l’expérience du sublime, Paris, éditions Champ Vallon, 2007, p. 188.

[77Fredric Jameson, Le Postmodernisme ou la logique culturelle du capitalisme tardif, Paris, éditions Beaux-Arts de Paris, 2007, p. 54.

[78Voir Bertrand Marchal, La Religion de Mallarmé, Paris, éditions José Corti, 1988, p.498 sq.

[79Even, ibidem.

[80Stéphane Mallarmé, Correspondance 1, 1862-1871, édition Henri Mondor, Jean-Pierre Richard, Paris, éditions Gallimard, 1959, p. 234.

[81Elisabeth Roudinesco et Michel Plon, Dictionnaire de la Psychanalyse, Paris, éditions Fayard, 2011, p. 994.

Mots-clés

von Heyl Charline

Pour citer cet article

, « Halluciner l’abstraction ? La peinture de Charline von Heyl ». Pratiques picturales : Stratégies abstraites de la peinture contemporaine, Numéro 06, avril 2020.

http://www.pratiques-picturales.net/article67.html